France -l’Opération Barkhane : C’est fini
Un retrait « sans délai » du territoire malien. Après s’être murée dans le silence pendant plus de 24 heures suite à l’annonce du retrait militaire de la France et de ses partenaires européens du Mali, la junte au pouvoir à Bamako depuis le double coup d’Etat d’août 2020 et mai 2021 a réclamé un départ immédiat des forces Barkhane et Takuba « sous la supervision des autorités maliennes ».
Cette exigence musclée formulée par le porte-parole du gouvernement de transition, le colonel Abdoulaye Maïga, dans un communiqué publié ce 18 février 2022, pourrait créer de nouvelles tensions entre Bamako et Paris. La veille, Emmanuel Macron avait en effet précisé que le retrait des trois bases militaires françaises déployées au Mali et des quelque 2400 soldats de l’opération antiterroriste « Barkhane » encore présents dans le pays prendrait « entre quatre et six mois ». Le retrait français, qualifié par la junte de « décision unilatérale », prise en « violation flagrante du cadre juridique liant la France et le Mali », pourrait dès lors se compliquer.
La réaction de la junte s’inscrit dans la droite ligne de la stratégie déployée par les autorités de transition maliennes ces derniers mois : pousser Paris à annoncer le départ de ses troupes, sans en avoir jamais clairement formulé la demande pour pouvoir, à terme, fustiger le caractère « unilatéral » de cette décision. Et ainsi se décharger de toute responsabilité face aux conséquences, potentiellement très lourdes, que pourraient avoir ce retrait militaire pour la sécurité nationale.
« A bas la France qui sort par la petite porte », « mission accomplie », « bravo à nos autorités qui ont chassé » « Barkhane », s’étaient félicités la veille les membres de Yerewolo, une association réputée proche du pouvoir, lors d’une réunion organisée à son quartier général et diffusée sur les réseaux sociaux. Le mouvement, qui mobilise depuis des mois dans les rues de Bamako contre la présence française et en faveur d’une intervention russe, a appelé à un grand rassemblement samedi 19 février pour célébrer le retrait de « Barkhane ». En attendant, aucune manifestation n’était à signaler dans la capitale malienne, relativement éloignée de la guerre qui mine le nord et le centre du Mali depuis 2012 et a fait plus de 11 700 morts, selon l’ONG Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled).
A la suite des annonces françaises, le sentiment d’inquiétude était bien plus vif à 1 400 kilomètres de là, à Gao, ville du Nord-Est, voisine de la zone dite « des trois frontières » – à cheval sur le Mali, le Niger et le Burkina Faso, épicentre des violences djihadistes. Alors que la plus importante base militaire de « Barkhane » doit y être démantelée d’ici quatre à six mois, selon Paris, une partie des habitants joints par téléphone disent redouter le pire.
« Les opérations menées avec “Barkhane” et “Takuba” [coalition de forces spéciales européennes sous commandement français] ont permis à l’armée malienne de reprendre confiance dans certaines parties de la région. Dans les zones où nos militaires ne disposaient pas de cet appui, ils sont restés cantonnés et n’ont donc pas pu empêcher les massacres. Demain, quand ces forces auront plié bagage, qui nous protégera ? », s’alarme un habitant de Gao qui a un temps travaillé avec les forces internationales. Sous le couvert de l’anonymat, ce jeune Malien dit craindre que la région ne tombe définitivement aux mains de groupes terroristes qui contrôlent déjà une large partie de la brousse.
Implication croissante de la Russie
D’autres attendent de voir, comme ce commerçant dont les activités s’étendent dans tout le Nord-Est : « En dix ans, la situation sécuritaire n’a fait que se dégrader pour nous, les civils. Il fallait trouver une autre voie. Il faut qu’on prenne en charge notre sécurité avec de nouveaux partenaires comme les Russes. On les attend de pied ferme. »
C’est l’autre grande interrogation après celle du retrait de « Barkhane ». Alors que Bamako œuvre à une implication croissante de la Russie sur le terrain de la lutte antiterroriste, beaucoup, au nord, s’interrogent sur les conséquences qu’aurait une montée en puissance du Groupe Wagner dont près de 800 mercenaires auraient déjà été déployés dans le pays selon nos informations. Habitants comme observateurs redoutent des affrontements entre groupes armés locaux et miliciens russes.
Avec Le Monde